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Everything Everything

Interview publiée par Lena Inti le 4 juin 2022

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A l'occasion de la sortie du sixième album de Everything Everything, nous avons rencontré leur chanteur Jonathan Higgs via Zoom. Nous avons pu en apprendre plus sur ce très riche Raw Data Feel et échanger sur l'utilisation de l'intelligence artificielle, la production de l'album, et le mystérieux personnage de Kevin.

Sur cet album, tu as utilisé l'intelligence artificielle pour créer des paroles de chansons. Comment ça marche ?

Je donne à l'IA de nombreux mots à apprendre, des données à comprendre. Je lui ai donné de nombreuses choses étranges à lire, par exemple des termes et conditions et des poèmes anciens, des choses comme ça. L'IA a tout appris, et après j'ai pu lui poser des questions auxquelles elle pouvait répondre, en quelque sorte. Puis j'ai récupéré ce qu'elle disait et je l'ai mis dans mes chansons, tu vois, à certains petits endroits.

Dans Pizza Boy par exemple ? Parce que les paroles sont assez marrantes...

Hum... Je ne crois pas qu'il y en ait dans Pizza Boy. Je ne m'en souviens pas. Mais je n'en suis pas sûr. En plus, j'ai dit que je ne dirai à personne ce qui vient de l'IA et ce qui vient de moi, comme ça personne ne sait.

Oui, je vois, bonne idée !

Tu serais surprise d'apprendre ce qui vient de l'IA et ce qui vient de moi ! Et c'est ce que je souhaite.

Je comprends ! Les paroles sont vraiment drôles sur ce titre. Tu as dit que tu voulais t'amuser sur cet album. Avec les paroles aussi, n'est-ce pas ?

Oui, clairement ! Nous avions beaucoup de concepts lourds sur le dernier album (ndlr : Re-Animator, sorti en 2020) et il n'était pas particulièrement amusant, je pense qu'il était peut-être trop sérieux, trop lourd. Il est sorti en pleine pandémie et il y avait plein de choses que nous voulions faire différemment. Donc nous avons pensé qu'avec celui-ci, nous allions écrire et enregistrer rapidement, nous amuser, et faire de la musique que nous trouvons bonne, plutôt que de trop y réfléchir.

tu penses que c'est la pandémie qui vous a poussés à écrire un nouvel album aussi vite ?

Oui, nous le devions, nous avions le temps, nous ne pouvions absolument pas partir en tournée. Nous ne pouvions rien faire quand nous avons terminé Re-Animator. Nous avions juste à le publier et dire « Voilà ! ». Nous avons fairte quelques vidéos mais, à part ça, nous n'avions rien à faire alors nous avons préparé un nouvel album tout de suite après. La pandémie, quoi...

Vous avez avez auto-produit ce nouvel album, n'est-ce pas ?

Oui, Alex (ndlr : Robertshaw, guitariste) est le producteur.

Et de manière générale, quelles sont les influences sur ce disque ?

Je crois qu'Alex a vraiment aimé le mixage du dernier album d'Arcade Fire, ou de l'avant-dernier, je ne m'en souviens pas. Il n'a pas arrêté de parler de sa production.

C'était Everything Now ou Reflektor ?

Un des deux, je ne sais pas. Mais il a adoré la production de ces albums, et je pense qu'il a essayé d'écrire des chansons avec ce type de son, et d'espace. Et il écoute aussi beaucoup de techno, de musique hard dance. Donc je pense que ça s'est retrouvé dans l'album. Personnellement je n'écoutais rien en particulier. L'album n'a pas vraiment été influencé par d'autres choses, à part par nos vies.

Et comment tu en es arrivé à cette idée d'utiliser l'IA, les poèmes, et ce genre de choses ?

C'était juste de la curiosité, en fait. Il me semble que j'avais vu des poèmes qui étaient écrits par une IA quelque part sur Internet et j'ai trouvé ça intéressant. Parce que cette poésie est plutôt bonne ! Et j'ai commencé à m'informer sur sa conception. Je me suis dit : « Si ça peut être fait pour les poèmes, ça le peut aussi pour les paroles ». Donc j'ai commencé à lire cela un jour et puis j'ai trouvé quelqu'un qui savait comment faire, donc je l'ai contacté.

Pour l'album précédent, Re-Animator, tu avais appris à utiliser le logiciel Blender (ndlr : logiciel de modélisation et d'animation 3D par ordinateur) pour l'artwork de l'album. Tu t'es enfermé dans une sorte de bulle ? Parce que j'imagine que cela dû prendre du temps ?

Oui. Et je suppose que c'est ce qui s'est aussi passé avec Raw Data Feel. J'apprenais à créer des images et des textes avec l'IA. Donc la pochette de l'album a été créée par l'IA, par moi. Même chose pour certains des vidéoclips. Ils sont améliorés par l'IA, d'une certaine manière. Par tout ce que j'ai appris, sur cet album. Je ne sais pas ce que je ferai ensuite !

Je me posais la question par rapport aux vidéo clips comme celui de Teletype. Ça rassemble à un cauchemar...

Super ! Oui.

C'est ce que tu voulais ?

Oui ! Enfin, je voulais que tu aies l'impression d'être effrayé par quelque chose qui n'est pas réel. Tu sais que ce n'est pas réel mais ton cerveau te dit « C'est une personne, c'est une personne, c'est une personne », mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, qui ne tourne vraiment pas rond, et j'adore ça.

Quels types de machines ont été utilisés sur l'album, et mixés avec d'autres instruments ?

Alex fabrique ses propres synthétiseurs maintenant, des synthétiseurs modulaires. Il fabrique ces, euh... petites machines, et les attache toutes ensemble. C'est difficile à expliquer mais il crée ses propres instruments électroniques maintenant. Je ne peux même pas t'expliquer, je pense que personne n'a exactement le même matériel que lui ! Et puis il travaille dur dans sa chambre et des petits « bips » sortent des machines. Je ne sais même pas (rires). Je pense juste que c'est cool (rires).

Est-ce que tu peux me parler de Kevin ?

Oui. C'est un personnage que j'ai créé pour pouvoir parler de choses à la troisième personne, en quelque sorte. Enfin, pas à la troisième personne mais comme un mandataire. Je suppose que je ne voulais plus parler de moi, moi et encore moi sur un autre album. Mais il y avait encore des choses dont je voulais parler alors j'ai créé des personnages et je les ai laissés jouer des scènes. C'est facile pour moi de dire « Ce n'est qu'un personnage ». Même si en fin de compte, je parle de moi, je peux un peu garder cela à distance. C'était l'idée derrière tout cela.

Concernant la technologie utilisée pour créer les vidéo clips : quels logiciels as-tu utilisés ?

C'est très nouveau. Ça s'appelle « GAN » : « Generated Automated Network ». C'est une IA qui est suffisamment intelligente pour reconnaître une image de chat. Tu peux aussi lui dire « Chat avec un chapeau » : il va tenter de créer une image de chat avec un chapeau. Tu peux complexifier cela. Admettons que tu lui donnes une image de pomme et que tu lui dises « Chat avec un chapeau ». Il va essayer de transformer la pomme en chat avec un chapeau. C'est la version simple. Alors j'ai fait cela avec chaque plan de mes vidéos. J'ai demandé à l'IA de nous transformer en squelettes et c'est ce qu'il a tenté de faire. Il ne le fait pas parfaitement, mais il parvient à créer des images incroyables. Et le rendu était super cool. On n'a jamais vraiment rien vu de tel. Dans les années qui viennent, je suis sûr que tu vas voir émerger plein de choses de ce type, où tu demandes à voir une image, tu ne la crées plus vraiment. Tu diras juste « Donne-moi une chaise qui ressemble à un avocat » et elle apparaîtra comme par magie. Je pense que c'est pour très bientôt.

Tout cela a donc donné naissance à ce concept d'intelligence artificielle présent sur l'album ?

Je pense que je cherchais des moyens de m'en servir et de surmonter certaines choses. Utiliser le cerveau d'un ordinateur au lieu de mon propre cerveau. Je pouvais créer des personnages, utiliser des ordinateurs pour m'aider, pour garder certaines choses à distance. Faire de la technologie un(e) ami(e), pour m'aider non pas à travailler, mais à me sentir mieux. Je me suis dit « Si un ordinateur pense à ces choses-là, alors je n'ai pas à le faire ».

Et cela a fonctionné ? Tu te sens bien maintenant ?

Je pense que oui. Parce que je n'ai pas eu à me sentir complètement détruit, ce qui arrive habituellement quand tu enregistres un album (rire). Cette IA est arrivée et elle est devenue le centre de l'histoire... à ma place.

Est-ce que vous prévoyez de jouer à nouveau avec Foals ? C'était programmé, et puis la pandémie est arrivée...

C'était programmé. Mais nous n'allons pas jouer ces concerts qui étaient prévus. Peut-être que nous allons en faire dans le futur. Mais pas ceux-là.

Un dernier mot que tu souhaiterais ajouter à propos de l'album ?

Seulement que j'en suis très fier, que nous l'avons fait entièrement nous-mêmes, ce qui a toujours été le cas, mais cette fois-ci nous l'avons produit, écrit, nous avons créé toutes ces vidéos et l'artwork, et c'est l'album le plus « Everything Everything » qui existe ! Et je pense que c'est notre meilleur. Voilà mon message. Si vous nous aimez, vous allez l'adorer.