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And Also The Trees

Interview publiée par Jean-Christophe Gé le 25 octobre 2022

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And Also The Trees est un groupe mythique. Littéralement issus de la vague post-punk, ils ont débuté en 1979 sur des amplis bricolés, soutenus par The Cure et John Peel. Ils n'ont jamais vraiment percé, mais ont survécu et continuent leur aventure musicale avec la même passion. Entre la sortie de le leur nouveau disque et les répétitions pour les concerts à venir, Simon Huw Jones, chanteur du groupe, a accepté de répondre à nos questions et de nous en dire plus sur le long processus d'écriture de l'excellent The Bone Carver.

Votre album est prêt depuis un moment, pourquoi avoir attendu pour le sortir ?

Oui, nous aurions pu le sortir plus tôt, mais aujourd'hui pour fabriquer un vinyle tu es obligé de faire la queue. Il y a une longue liste d'attente et cela peut prendre des mois. C'est formidable que tout le monde veuille des disques, mais malheureusement il n'y a plus assez d'usines pour les fabriquer. Ça a retardé la sortie de l'album d'un an. Pendant l'épidémie du COVID-19, il nous était difficile de nous retrouver pour enregistrer. En plus de tout cela, il nous faut énormément de temps pour composer. Je pourrais m'en prendre à moi-même parce que ça me prend une éternité pour écrire les paroles, mais cela fait partie de notre méthode. C'est comme ça.

Aujourd'hui que penses-tu de l'album, c'est presque de l'histoire ancienne pour vous ?

Dans un sens oui, mais les chansons changent tellement au cours du temps... Pour commencer, je reçois une courte démo de Justin, puis j'ajoute des paroles, et il change la musique à nouveau, puis les autres membres du groupe la modifient encore. Si tu prends The Book Burner par exemple, une fois que Colin à enregistré la clarinette, ça a complètement transformé le morceau. Les autres chansons également. Au fur et à mesure que nous les composons, elles se métamorphosent. C'est un processus très long.
Parfois je dois écrire beaucoup pour même comprendre où je veux en venir. A tel point que ça pourrait presque être une nouvelle, et bien sûr je dois énormément couper le texte pour que cela colle au format de la chanson. Même une fois enregistrées, quand les chansons reviennent du mastering, elles sonnent parfois différemment de ce que j'imaginais. Donc, tu vois, ce n'est jamais de l'histoire ancienne, j'ai toujours l'impression de découvrir nos chansons. En ce moment je continue à travailler dessus pour préparer les concerts, ce qui est le but ultime de nos travaux. Même si elle sonne similaire aux versions du disque, c'est une expérience complètement différente pour moi, c'est le moment où je vis les chansons, quand je suis devant le public.

D'après ce que tu me dis, c'est la musique qui vient avant les paroles. Comment décides tu ce que tu vas écrire ?

Pour cet album, notamment, Justin a écrit beaucoup de musique et j'ai décidé de me laisser influencer par le titre provisoire qu'il donnait. Parfois, je ne vois pas le rapport entre le titre et la musique et je vais passer beaucoup de temps à essayer d'en trouver un, parfois c'est une évidence. Les chansons se développent comme ça, elles commencent par une esquisse de Justin, puis j'apporte des paroles de manière plus ou moins improvisée, ce qui est de plus en plus facile pour moi, et après chaque membre du groupe apporte ses idées.

Je voudrais en savoir plus sur In A Bed In Yugoslavia, j'aime particulièrement cette chanson. Comment t'est venue l'idée d'écrire sur un pays qui a disparu il y a vingt ans ?

Justin est très prolifique. Du coup, il suit l'alphabet pour trouver un titre à ses ébauches et il trouve rapidement un mot ou une phrase qui correspond à l'ambiance du morceau. Pour celui-ci il était à la lettre Y, et il l'a appelé Yugoslavia 1918. A partir de là, je pouvais complètement l'ignorer, le conserver, ou développer la chanson en suivant cette direction. En écoutant la démo, je pensais à un lit dans une chambre dans une maison à la campagne. Et j'ai travaillé cette idée en gardant à l'esprit que le morceau s'appelait Yugoslavia 1918.
Donc même si je n'ai jamais visité ce pays, j'étais déterminé à y placer la chanson. Celle-ci est très ouverte à l'interprétation de chacun, ce qui est souvent le cas pour mes paroles. Je me suis demandé si je devais faire des recherches sur la Yougoslavie de 1918 pour y intégrer plus d'éléments et je me suis dit que ce n'était pas nécessaire car le titre est suffisant pour transporter les auditeurs sans parler de politique, de religion ou de guerre, car l'association sera faite de toute façon. Je me suis donc concentré sur l'endroit. Et à mesure que j'y pensais, j'ai réalisé que l'endroit ne se soucie pas des religions, des cultures ou des gens, c'est juste un endroit.
J'ai décidé que la femme dans la chanson représenterait la terre et que l'homme représenterait les gens, mais aussi de la terre. C'est un endroit qui change, et je suis assez vieux maintenant pour savoir que tous les lieux évoluent avec le temps. Peu importe comment nous les appelons, les villes et la campagne changent. Quand j'assemble toutes ces idées j'espère que ça fonctionne avec la musique, et même qu'idéalement ça apporte quelque chose de plus. Je ne veux surtout pas que ce soit une distraction de la musique.

Tu dis que la campagne change. J'ai l'impression inverse quand j'écoute votre musique, vous donnez un côté intemporel à la campagne du Worcestershire...

Je vois ce que tu veux dire. Pas tellement sur cet album, mais sur les précédents j'avais tendance à voyager dans le temps dans le Worcestershire et par conséquent j'étais fixé sur une même époque. J'aime l'idée de pouvoir avancer et reculer dans le temps.

Avec The Bone Carver j'ai à la fois l'impression d'écouter à la fois un album très différents de vos précédents et un classique. Est-ce une nouvelle ère pour And Also The Trees ?

Je ne sais pas encore. Je saurai vraiment comment je me sens à propos de cet album qu'au milieu de l'année prochaine, mais ça me paraît plus comme une évolution naturelle. Avec Colin et Grant nous avons deux nouveaux musiciens qui commencent en même temps pour la première fois. C'est une sacrée évolution pour un groupe en un seul album. Ça a forcément un impact.
Je déteste quand les gens partent parce que je me sens très proche des musiciens avec qui nous jouons. Mais c'est aussi super d'avoir de nouvelles personnes qui apportent leurs idées et leur façon de jouer. C'est peut être effectivement le début de quelque chose qui sera même encore plus différent dans le futur.

Le choix d'un clarinettiste est inhabituel. Comment s'est passé le recrutement de Colin ? Vous êtes vous dit, il nous faut une clarinette et vous avez trouvé Colin, ou vous vouliez jouer avec Colin et avec donc intégré une clarinette ?

C'est ça. Justin est ami avec Colin depuis un moment, il a une formation musicale, contrairement à Justin et moi. Il a joué du jazz, il joue très bien de la guitare ce qui est important pour nous car cela libère Justin qui peut se concentrer sur autre chose. Nous voulions un instrument à vent. Même sur Born Into The Waves (ndlr : leur précédent album sorti en 2016), j'y pensais déjà. Un instrument à vent aurait pu prendre la place de la voix, comme pour remplacer un chœur. Justin a commencé par demander à Colin de rajouter de la clarinette sur un morceau et le résultat était génial.

Hors COVID-19, vous jouiez de manière régulière, And Also The Trees est donc bien vivant mais vous ne sortez un album que tous les six ans. Qu'est ce qui vous pousse à écrire de nouvelles chansons ?

Nous faisons tout nous-mêmes, la promotion, les relations presse, la vente par correspondance. Quand nous sortons un album, nous faisons la promo, organisons les tournées, donnons des interviews (rires)... Nous avons encore plein d'idées de Justin sur lesquelles nous devons travailler mais nous ne pourrons pas le faire avant la fin de l'année.

Il y aura peut-être moins de six ans d'attente avant le prochain album alors ?

Oui, je l'espère, parce que c'était vraiment trop long. Avec ces compositions l'idée initiale était de faire un album de The Brothers Of The Trees, mais nous pensons tous les deux qu'elles vont être absorbées par And Also The Trees, tout comme les quelques chansons de The Bone Carver qui étaient à l'origine destinées à un EP pour notre duo.

Quelle est la différence entre un album de ces deux projets ?

Brothers Of The Trees, ça devait être Justin et moi. Et Colin sur quelques titres, avec d'autres musiciens. C'est aussi s'affranchir des formats classiques basse-guitare-batterie et couplet-refrain. Nous voulions être plus libres. Pouvoir faire un morceau de quarante-cinq secondes ou dix minutes. Le prochain album sera peut être comme ça, ou ce sera celui de The Brothers Of The Trees.

Tu as commencé à écrire sur l'histoire du groupe. Qu'est-ce qui t'y a poussé ?

Notre quarantième anniversaire. Je me suis dit que je devais écrire quelque chose, je me suis mis derrière ma machine à écrire pendant trente minutes et j'ai envoyé le résultat à Justin. Il a trouvé ça bien et m'a encouragé à continuer. Alors je l'ai posté sur notre site et les gens ont aimé. Ils en ont demandé davantage, alors j'ai écrit davantage, en y mettant plus d'efforts, des recherches, et en travaillant le style davantage. Ça me plaît beaucoup. La prochaine partie est écrite aux trois quarts mais j‘ai du la mettre en pause pour me consacrer à la sortie de l‘album.
J'ai été obligé de relire mon journal et je suis choqué par tous les détails que j'avais complètement oubliés. Nous avons un frère plus âgé, et je me rappelle lui dire que quelqu'un allait écrire un livre sur And Also The Trees. Et il m'a demandé si ça n'allait pas être quelque chose comme “Tremblement de terre en Chine et personne ne meurt”, c'est vrai qu'il n'y pas beaucoup de drame dans notre histoire. Mais en regardant comment tout a commencé pour nous, c'est assez intéressant. Nous avons commencé après le punk, quand le mouvement était mort et plus grand chose ne se passait.
Aujourd'hui on appelle ça le post-punk et je suis assez content de cette expression, parce que ça veut dire qu'il y a une catégorie pour ce que nous faisons. Je raconte ce qui nous est arrivé dans un milieu sur lequel peu de gens ont écrit, il y a eu ce moment où nous sommes devenus presque célèbres en France et en Allemagne, nous avons ensuite survécu aux années 90 pendant lesquelles personne ne voulait entendre parler de nous. Ce n'est pas complètement inintéressant. Mais comme toutes les personnes qui écrivent te le diront, ce n'est pas tant l'histoire qui compte que la manière de la raconter.

Tu parles beaucoup d'écriture. Travailles-tu à un roman ou un recueil de nouvelles ?

Non. J‘adore lire, j'adore regarder le style de différents écrivains. Mais je n'ai aucune formation littéraire.

Tu es un lecteur punk !

Oui, c'est ça, un lecteur punk. J'adore écrire, mais je ne sais pas si j'arriverais à écrire quelque chose d'assez bon. J'essaierai peut-être un jour.

Vous avez réédité vos deux premiers albums. Allez-vous continuer avec la suite de votre discographie ?

Je ne sais pas si ça devrait être annoncé, nous aimerions rééditer The Evening Of The 24th, mais pas en vinyle car c'est un live et c'est moins populaire, ce serait en CD avec quelques titres en plus. Le prochain vinyle pourrait être Listen To The Rag And Bone (ndlr : publié en 2007) car il n'est jamais sorti en vinyle et il sonnerait bien sous ce format. On verra... Sortir une réédition nécessite beaucoup de travail, il faut retrouver les pochettes, faire le remastering, gérer la fabrication...

As-tu redécouvert des chansons en travaillant sur les rééditions ?

Je n'avais pas écouté le premier album depuis des années et je pensais qu'il était un peu embarrassant car nous étions très jeunes. Justin avait quinze ans quand il a écrit certains des titres. J'ai été surpris à quel point il sonne bien, la production est très bonne. Lol Tolhurst a fait un super boulot et nous étions dans un bon studio. J'ai été moins surpris par Virus Meadow car nous jouons encore beaucoup de ses titres en concert et il n'y a pas grand chose à redécouvrir.

Je pensais que Millponds Years serait le suivant...

Le problème, c'est que nous n'avons pas de morceaux à ajouter, il sonne bien et il n'y aurait pas grand chose à faire au remastering. On finira peut-être par le faire, mais c'est beaucoup de travail pour juste le sortir en vinyle. Et je suis sûr qu'il nous reste des exemplaires de l'édition originale.

Vous avez annoncé une tournée, mais je suis surpris de ne voir aucune date en France...

(Un peu embarrassé) Oui, nous y travaillons avec notre tourneur. Ils ont déjà quelques idées pour février, nous viendrons pour une semaine ou deux.