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The Joy Formidable

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 11 février 2011

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Pas si étrangement que ça, The Joy Formidable me ramène inévitablement aux Joy Division. Pas seulement à cause de l’homonymie de leurs noms respectifs mais également parce que leur style est acéré, leur énergie ramenée du côté obscur de la force et qu’il sont originaires d’un Manchester populaire et encore triste où l’on imagine mal des groupes de rock jouer autre chose qu’une musique convulsive, dans ses notes ou dans ses textes. Si ce n’est pas Ian Curtis que je rencontre ce jour-là, les signes métaphoriques continuent à taquiner ma sensibilité musicale. Rydhian Dafydd, le leader ou supposé tel car chez The Joy Formidable les égos sont absents, impose lui aussi un charme inquiétant et, plus généralement, Ritzy Bryan ou Matt Thomas arborent des vraies personnalités totalement saxonnes, couplées à une façon de jouer à la fois sensuelle et tragique qui les transportera loin dans la reconnaissance de leurs pairs.

Quelle vie aviez-vous avant de jouer ensemble ?

Rhydian : Cela fait longtemps que j'évolue dans la musique. Ritzy et moi avions un autre groupe avant celui-là. Au tout début, cela a démarré à Manchester et nous étions dans une toute autre dynamique musicale alors. Ritzy était alors partie quelques mois aux Etats-Unis et nous a rejoint pour être notre guitariste. Ritzy : Mon passé est fait de passion pour la musique et d'écriture de textes que je voulais un jour pouvoir jouer mais je n'avais jamais participé à beaucoup de groupes étant plus jeune. Je voulais plus être un auteur de chansons. Après mes études, je me suis un peu évadée aux États-Unis et à mon retour, j'ai rejoint les groupes que Rhydian avait déjà intégrés ou montés (Tricky Nixon puis Sidecar Kisses) mais cela n'a pas marché comme nous l'avions envisagé. Nous avions tellement de problèmes à gérer que ça a fini en désastre ! Nous nous sommes alors « enfuis » tous les deux en Galles du nord, prendre l'air et nous avons alors découvert nos passions mutuelles. Nous avons recentré nos envies sans que les égos de l'un ou l'autre ne viennent troubler cela. Une fois les problèmes de Sidecar Kisses oubliés, l'alchimie a été rapide entre nous. Peut-être cela vient il du fait que nous sommes originaires de la même ville, de la même école et que nous avons le même passé de passionnés...

Combien de temps as-tu passé aux Etats Unis ?

Ritzy : Dix-huit mois environ. C'était une parenthèse dont j'avais besoin ; quand j'y pense, on dirait une autre vie. Je suis partie comme fille au pair car cela m'a permis de ne pas avoir à demander de visa pour travailler et j'ai presque pu choisir ma famille d'accueil sur Internet. Il fallait que je mette de la distance entre moi et l'Angleterre et en trois semaines, j'étais partie ! J'habitais à quelques miles de Washigton D.C et j'étais finalement assez isolée. Ce qui m'arrangeait finalement pour écrire des chansons... garder des enfants ne m'intéressait que très peu ! Matt : De mon coté, j'ai été batteur dans d'autres groupes avant de rejoindre The Joy Formidable. J'ai fait quelques sessions en studio pour différents groupes mais cela ne m'a jamais réellement permis d'en vivre. Il n'y a pas d'argent dans la musique à ce niveau-là ! J'ai alors tenté d'étudier pour devenir instituteur mais... je suis finalement revenu à la batterie (rires).

Comment vous êtes-vous finalement rencontrés tous les trois ?

Ritzy : Rhydian et moi étions dans le même collège, mais dans des sections différentes. Nous ne nous sommes pas réellement fréquentés là-bas bien que nous partagions la même passion.
Rhydian : Le ralliement de Ritzy date de son retour des Etats-unis. Elle m'a appelé un jour et a rejoint le groupe d'alors, Sidecar Kisses, voilà quatre ou cinq ans. Le véritable départ pour The Joy Formidable date d'il y a trois ans. Matt nous a rejoints voilà deux ans maintenant. Notre précédent batteur, Justin, était là pour nos premières tournées mais il n'était pas fait pour ça et a décidé de nous quitter. Nous sommes toujours de bons amis mais jouer à droite à gauche ne lui plaisait pas. Nous avons donc du trouver un batteur rapidement après son départ. C'était juste avant Noël et nous avions beaucoup de dates à venir...
Ritzy : Ç'a été le véritable lancement de The Joy Formidable. Nous possédions déjà un style et plusieurs titres mais l'alchimie de la scène n'a vraiment débuté que lorsque Matt nous a rejoints. Il nous manquait une réelle dynamique que nous avons trouvée avec lui.

L'évolution du groupe, dès lors, est-elle fidèle à l'idée de ce que vous vous en faisiez à l'époque ?

Ritzy : Maintenant, nous sommes certains que nous avons pris les bonnes décisions et que nous sommes en train de faire ce que nous voulions faire. Nous avons fait en sorte de pouvoir être maîtres de nos décisions en étant nos propres producteurs, nos propres arrangeurs et en créant même nos pochettes de disques. Quand vous maîtrisez tout, vous êtes pratiquement certains d'arriver là où vous voulez arriver. Et ça, c'est peut-être du aussi au fait que nous n'avions pas une grosse machine et un gros label derrière nous (rires) !

Vous pensez que si un gros label vous avait signés dés le départ, votre musique et votre dynamique auraient été différentes ?

Ritzy : Ça dépend beaucoup des relations que vous entretenez avec les personnes et du moment où cela arrive. Aujourd'hui nous avons un partenaire de ce type à nos cotés et ça se passe très bien parce que nous sommes arrivés à nous rencontrer au bon moment et que nous n'avons pas cherché, coûte que coûte, à être signés. Nous avons eu le temps de bâtir notre style et de délimiter nos envies et notre label aujourd'hui respecte cela et nous aide à aller dans notre sens, et pas l'inverse.

Parlons de votre album qui sort en ce début d'année ; comment se sont passés la création et l'enregistrement de ce dernier ?

Rhydian : Ça nous a pris pas mal de temps car notre studio, notre lieu de création, c'est notre chambre ! Nous avons un ordinateur et des enceintes dans le coin d'une chambre. Nous apprécions cela car ça nous permet de pouvoir écrire, composer et coucher des idées n'importe quand puis de ne plus y penser pendant plusieurs semaines. Un ou deux concerts passent puis nous revenons à nos compositions et nos idées très facilement sans avoir à mobiliser une grosse machinerie. Et cela nous a permis de continuer notre tournée pendant la création de cet album.

L'étape du studio était donc déjà bien avancée et vous n'avez plus eu qu'à mixer les titres composés et enregistrés dans votre chambre ?

Rhydian : C'est ça. À quelques titres près, nous sommes arrivés dans les studios de L.A avec nos titres quasiment prêts à mixer.

Qui était votre producteur pour cet album ?

Ritzy : Nous étions plus ou moins nos propres producteurs mais avec l'aide précieuse de Neak Menter, notre ingénieur du son et arrangeur live qui a apporté, dès le départ, ses grandes compétences et a su retranscrire toute l'énergie du son que nous produisons sur scène. Puis, nous sommes allés à Los Angeles pour entrer en studio, avec tout ce que ça suppose de paradoxal en termes de moyens par rapport à la modestie de notre chambre où nous avions pratiquement tout créé ! Le résultat nous a donné toute satisfaction et l'apport de Neak fut crucial pour la puissance du son et l'intensité des titres dans cet album.

Votre album contient certains de vos plus anciens singles mais certains ont été laissés de coté. Comment ce choix s'est-il opéré ?

Rhydian : A l'inverse de l'EP A Balloon Called Moaning qui, pour nous, est arrivé comme un accident, nous avons toujours su quels titres seraient sur The Big Roar. Considérant que cet album est notre véritable premier album, il était évident que certains titres anciens mais révélateurs de notre carrière devaient faire partie de la tracklist. Et cela nous a permis d'ajouter des versions encore peu connues comme Whirring qui se trouve ici en version longue et remixée. Et les versions d'anciens titres rejouées avec Matt nous plaisaient tellement que nous devions les inclure à cet album.
Ritzy : Nous n'avons pas réenregistré tous nos anciens titres, mais nous voulions vraiment faire partager l'apport de Matt sur ces singles.

Austere, le single qui a concouru a vous faire mieux connaître par le biais de la série TV Skins...

Ritzy (qui baisse les yeux en souriant) : Et merde...

Comment ce titre s'est-il retrouvé dans cette série TV ?

Ritzy : Ils nous ont approché pour nous proposer de diffuser Austere durant un des épisodes et nous avons accepté car nous sommes toujours intéressés par tout ce qui touche à l'image, qu'elle soit fixe ou animée. Nous ne sommes pas prêts à voire notre musique utilisée pour n'importe quoi mais Skins nous paraissait une bonne série, même si j'avoue ne jamais avoir regardé un épisode !

Vous avez déjà joué plusieurs fois en France je crois ?

Rhydian : Nous y avons joué à peu près quatre fois, mais pas dans le cadre de vraies tournées.
Ritzy : Nous sommes venus deux fois en France jouer pour nos propres concerts et notamment à la Flèche d'Or. Et contrairement à ce qu'on nous avait prédit sur le coté réservé des Français, nous avions trouvé un public Parisien très chaleureux et qui nous a très bien accueillis. Nous attendons avec impatience de pouvoir rejouer ici.

Vous donnez de nombreux concerts au Royaume-Uni et en Europe depuis vos débuts et vous êtes considérés comme un très bon groupe de live. Préférez-vous la scène au studio ?

Ritzy : Définitivement la scène ! Même si notre processus de création ne s'arrête jamais réellement, il est très agréable de pouvoir se confronter à des publics différents et de connaître des lieux et des cultures de tous bords. Nos voyages en van nous permettent de nous arrêter là où nous le voulons et de découvrir des endroits et des gens que nous ne pourrions pas rencontrer autrement. Mais nous ne pourrions pas nous passer de notre étape studio non plus. C'est un processus complémentaire car sur scène nous réalisons enfin ce que donnent les compositions écrites dans notre chambre...
Rhydian : La spontanéité et le plaisir du moment présent en tournée changent tous les soirs. Mais les tournées n'existeraient pas sans la partie écriture et studio ; donc, c'est une alchimie entre les deux qui donne le vrai plaisir de jouer, sur scène et en studio.

A ce sujet, comment avez-vous retranscrit l'énergie de vos live sur ce nouvel album ?

Ritzy : La manière dont nous avons écrit, composé, produit et arrangé cet album avec Neak avait pour but de retranscrire au mieux l'énergie et la puissance de nos titres en concerts. Il y a beaucoup de couches d'instruments qui interagissent les unes avec les autres et font monter la puissance des morceaux. C'est une approche que nous avons décidée dès le départ. Matt joue d'une telle manière que sa contribution est essentielle à l'énergie du groupe.
Matt : Je pense que la puissance des morceaux vient de la combinaison, de la dynamique des membres du groupe. Et quand vous avez un très bon arrangeur et mixeur comme Neak, vous pouvez tenter de pousser toujours plus vos capacités et les différentes couches d'instruments qui composent nos morceaux. On peut tenter des choses car la combinaison de nous trois va crescendo avec le temps et l'expérience.
Ritzy : J'écoute beaucoup de musique et la plupart du temps je suis assez déçue de la dynamique dans les disques. Au moment où cela semble décoller, ça ne me transporte pas là où j'attendais que ça me porte.

Des exemples particuliers ?

Ritzy : Non (rires). Je ne citerais personne dont j'aime les disques mais je trouve que leur dynamique pourrait souvent être meilleure. Matt : C'est souvent comme un soufflet qui gonfle au four quand on le regarde et retombe quand on l'en sort !
Ritzy : J'espère vraiment que nos disques n'inspireront jamais cela !

Restons dans le positif : quels sont les groupes qui ont votre oreille en ce moment ? Ou ceux dont vous vous revendiquez le plus ?

Ritzy (apparemment gênée de donner sa réponse) : J'ai toujours beaucoup écouté YES (rires sans retenue de Matt et Rhidyan). Oui, je suis consciente que ma réponse puisse faire sourire mais j'aime bien écouter des trucs qui peuvent paraître un peu à la limite du bon goût parfois !
Rhydian : Ça peut tout aussi bien être des groupes un peu électro dance comme Caribou (groupe Canadien électro psychédélique) ou le dernier album d'Interpol en passant par des trucs plus anciens comme les disques de PJ Harvey.
Ritzy : Plan B est également un groupe que nous écoutons beaucoup.

Sans lister tous vos groupes favoris, quels sont ceux qui ont le plus influencé vos désirs de devenir musiciens ?

Rhidyan : Hendrix, sans hésitation. C'est grâce à lui que j'ai commencé la guitare. Quand on est adolescent, on aime écouter des trucs un peu hard ou métal et j'aimais bien des groupes comme Panthera également.

Et toi Matt ?

Matt : J'écoutais des trucs un peu barrés comme Edgard Winter Group et particulièrement le morceau Frankenstein. Mais aussi Focus (ndlr : groupe de rock expérimental Néerlandais). Jan Akkerman était le leader de ce groupe rock funky expérimental.

Et toi Ritzy ? S'il devait n'y en avoir qu'un ?

Ritzy : C'est toujours Elvis Costello pour moi. Quand j'étais plus jeune, j'étais fan de tout ce qui le concernait ; des paroles à son style vestimentaire en passant par sa façon de jouer de la guitare...

Certains médias vous comparent facilement à des groupes comme les Pixies ou les Smashing Pumpkins ; ce avec quoi je ne suis pas forcément d'accord...

Rhidyan : Je suis ravi que tu ne sois pas d'accord avec ça !

J'ai lu aussi des définitions assez cocasses concernant votre musique qu'on qualifie parfois de « Indie Dirge Pop » ou de « Dream Pop» ; ça vous plait d'être comparés à ces groupes prestigieux et d'hériter de tels qualificatifs ?

Matt : Indie Dirge Pop ? J'aime bien le terme mais je ne savais pas qu'on était si proches du chant funèbre !
Ritzy : Et si nous combinions les styles pour jouer du Dream Dirge Pop (rires) ?
Rydhian : Je pense qu'un groupe doit accepter d'être comparé à différents groupes ou styles musicaux, mais jusqu'où peut-on aller pour définir le style d'un groupe nouveau en le comparant à ce qui a déjà été fait par le passé ? On n'expliquera jamais notre musique ni aucune musique en la comparant à l'aide de quelques mots. Par exemple, on ne pourrait pas définir toute la carrière d'Elvis Costello en disant que sa musique était de style Stacky (ndlr : mot d'argot lancé par Ritzy, définissant plus ou moins la sueur sur une partie basse du corps ou le fait de manger salement). Mais je comprends que des journalistes puissent avoir besoin de rapprocher ou comparer, de loin, des groupes avec d'autres. Justement, parce qu'il est difficile de définir précisément la musique avec des mots.
Matt : Du moment que c'est pour dire du bien de nous et pas du mal, c'est bon pour moi !
Rydhian : Encore que si c'est pour dire du mal de nous avec passion, ça ne me dérange pas non plus.

Après avoir travaillé avec de petits labels, votre album The Big Roar sort chez Atlantic. Comment en êtes-vous venus à les choisir ?

Rydhian : Nous avons tourné avec Passion Pit aux Etats-unis ; cela a été une belle rencontre et ils nous ont demandé de venir faire quelques scènes avec eux à New-York. C'est comme cela que nous avons rencontré les gens d'Atlantic.

Le temps imparti est écoulé et je vais devoir vous quitter. Je voulais vous parler de votre rencontre avec Paul McCartney (ndlr : lors d'un festival Anglais, The Joy Formidable ont joué juste avant Paul McCartney qui est venu les voir après le concert.) Comment s'est passé cette rencontre ?

Rydhian : Oh, c'était un grand jour ! Sans aucun cirage de chaussures, c'est un grand monsieur. Sans aucun égo, simple et avenant.
Ritzy : C'était génial. Il nous a mis en confiance immédiatement et toute son équipe en général à été très avenante avec nous. On a joué devant ou avec de grands groupes ou de grands musiciens qui n'arrivent souvent même pas à s'entendre entre eux et tous n'ont pas les qualités de Paul McCartney, loin de là ! Bien qu'il soit l'un des plus grands, une icône même, il est d'une simplicité et d'une modestie qui fait du bien à un jeune groupe comme nous.
Matt : Et il joue avec un excellent batteur avec qui on a fait un bœuf backstage après le concert. C'était quelque chose !