logo SOV

London Grammar

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 5 août 2013

Bookmark and Share
Sans même avoir atteint, à eux trois, l'âge où Mick Jagger commençait à entreprendre des tournées d'adieu, les London Grammar ont enflammé la toile et le monde de la musique comme rarement un groupe l’avait fait avant eux. Avec une poignée de titres à leur actif, trois de leurs singles sont déjà parmi les plus courus des sites de partage comme SoundCloud. De l’Angleterre, où l’on parle volontiers de phénomène aux sphères pensantes parisiennes, les trois gamins, qui étaient encore étudiants quand ils ont décidé, pour s’amuser, de démarrer un groupe, surprennent par leur âge et, paradoxalement, par leur maturité. Ce sont les deux clefs de voûte de leur musique, simple, avec des influences très pop et novatrices grâce à leur goût savant du métissage des genres. Le tout, porté par la charmante Hannah Reid dont le timbre néophyte, mais d’une intensité et d’une variété à faire pâlir plus d’une Lana Del Rey, place London Grammar dans la catégorie des groupes avec lesquels il faudra compter à la rentrée.

La rumeur, positive, vous précède partout où vous passez depuis quelques temps. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre parcours jusqu'à aujourd'hui ?

Hannah : Nous nous sommes rencontrés à l’université. J’ai rencontré Dan pendant ma première année et un an plus tard, nous avons rencontré Dot. Nous avons commencé à enregistrer des démos et donner des concerts ensemble, jusqu'à l’enregistrement de notre premier EP, il y a six mois. L’aventure London Grammar a démarré il y a environ quatre ans...

Vous êtes encore très jeunes...

Dan : Nous étions très jeunes quand nous nous sommes rencontrés, nous devions avoir entre dix-huit et dix-neuf ans.
Hannah : C'est étrange pour moi de me dire que je vous connais tous les deux depuis quatre ans déjà !

On pourrait imaginer que le nom du groupe, London Grammar, est directement lié à cette période estudiantine ?

Dan : Pas vraiment. Et en plus, ce n’est pas vraiment une histoire intéressante à raconter... (rires). C’est même une histoire de merde ! En résumé, nous avons joué la première fois dans la ville de Nottingham, une ville du centre de l’Angleterre où nous étions étudiants. Nous jouions dans les pubs, comme ça se fait beaucoup là-bas, et quand il a fallu trouver un nom, je tenais à ce que Londres figure dans ce nom.
Hannah : Et puis le mot « grammar » nous a sauté aux yeux dans sa version écrite et dans son association avec « london ». C’est un nom qui sonnait bien à nos oreilles et qui n’était ni trop intello, ni trop cliché...

Vous qui avez démarré cette aventure pour vous amuser, prioritairement, vous attendiez vous à attirer autant de bonnes critiques de la part de professionnels quand ce premier EP est sorti ?

Dan : Franchement, c’était une réelle surprise. Rien n’était programmé ou attendu de ce coté là et nous aurions pu continuer à jouer dans des pubs, juste pour se faire plaisir. Mais la façon dont les choses se sont passées reste un très bon souvenir. Parfois, quand tu travailles très dur pour que ton projet aboutisse, rien ne se passe. Et parfois, il suffit que tu fasses quelque chose pour le plaisir et que tu le fasses de manière totalement détendue pour qu’il arrive des choses vraiment inattendues. Mais, pour être honnête, quand notre premier titre a été enregistré et que nous avons été signés, je dirai que nous avons tous pensé qu’il était peut être en train de se passer quelque chose de plus et qu’il y avait peut-être une attente pour notre musique.

À l’époque où vous vous êtes rencontrés, vous jouiez déjà de la musique. Depuis combien de temps ?

Dan : Nous étions déjà tous dans des groupes avant ça.
Dot : Nos familles et parents évoluaient déjà un peu dans le monde de la musique, à divers degrés. Je pense que cela a contribué à forger nos carrières. Je crois que le grand-père de Hannah était musicien de jazz...
Hannah : C’est vrai. Mais ce n’était pas un professionnel. Il donnait quelques concerts dans sa région quand il était plus jeune. Il a sûrement été d’une certaine influence pendant mon enfance parce qu’il m’emmenait souvent aux concerts avec lui. J’ai découvert cette musique grâce à sa discothèque.
Dot : Je me souviens aller aux concerts du groupe de mon père quand j’étais enfant, également. Parfois, je jouais du clavier avec lui et je pense que c’est là que j’ai vraiment appris et réalisé que c’était le métier que je voulais faire. Plus tard, vers seize ans, ce qui m’excitait le plus c’était de m’imaginer en tant que compositeur de musique de film. Beaucoup plus que de m’imaginer dans un groupe. Depuis, je me suis adapté (rires) ! Mais de là à me sentir professionnel, il y a encore de la marge.
Dan : Je crois que j’en ai toujours rêvé en fait. A l’age de dix-sept ou dix-huit ans, j’étais dans un groupe moi aussi avant de rencontrer ces deux-là. Mes collègues de l’époque avaient formé le groupe Cajun Dance Party qui avait un certain succès chez nous. Ensuite, certains ont quitté le groupe en 2009 et ont formé Yuck. Quand ils ont été signés, je me suis dit : Comment ont-ils fait pour être signés sur un label ? Cela me semblait si improbable de mon point de vue... La même chose nous est arrivé. Avant d’être signés, cette optique nous paraissait être un Graal impossible à atteindre !

Comment vos parents, qui sont sûrement encore de jeunes adultes, ont accueilli votre musique et vos désirs de carrière ?

Dan : Mes parents adorent ! Je dirais même que ma mère est accroc, elle joue nos premiers titres en boucle.
Hannah : Mon père l’est également. Par contre, ma mère est plus réservée parce qu’elle considère que notre musique est souvent triste. Elle s’inquiète pour moi (rires).

Sur votre premier EP, on trouve le titre Metal & Dust. Il s’agit également du nom de votre label, il me semble ?

Hannah : Metal & Dust est un label que nous avons effectivement créé, il nous a servi à sortir nous-mêmes notre premier single. Mais il est sous l’égide financière du label qui nous a signés ensuite.

Hannah, tu es déjà reconnue pour ta voix puissante, enjôleuse et féminine à la fois. As-tu pris des cours de chant plus jeune ? Quand as-tu réalisé que tu avais cette qualité ?

Hannah : Quand Dan me l’a affirmé, je crois (rires). Ma voix a pas mal changé avec les années, notamment depuis les deux années passées. Je n’ai jamais vraiment travaillé cet organe sauf quelques cours de chant entre quinze et seize ans. Mais j’ai toujours su que je savais chanter et que ma voix n’était pas mauvaise.

Il paraît que toi et Dan vous vous êtes rencontrés par le biais de Facebook. Dan aurait vu ton profil avec ta photo à côté d’une guitare et il t’aurait contacté à cause à cela...

Dan : Un journaliste australien nous a posé exactement la même question il n’y a pas longtemps (rires) ! C’est marrant comme les gens ont bien retenu cette histoire liée à Facebook... Mais, oui, c’est une histoire vraie.
Hannah : Nous nous étions déjà vus avant cela. Mais pas dans l’optique de former un groupe.
Dan : Nous étions déjà collègues et c’est ensuite que j’ai vu son profil avec une guitare et que nous avons commencé à parler de musique.
Hannah : Qu'est-ce que tu as pensé exactement quand tu as vu mon profil ?
Dan : J'ai été encore plus intéressé par toi (rires) ! Et puis, finalement, il s’est avéré que tu étais la plus brillante guitariste que j’ai jamais rencontrée (rires).
Hannah : Bien sûr... La seule chose que je savais jouer à la guitare à l’époque c’était du Cindy Lauper, Time After Time !

En parlant de filles artistes, tu es souvent comparée à des chanteuses comme Florence And The Machines ou Lana Del Rey... Que penses-tu de ces références ?

Hannah : Ce sont des chanteuses très talentueuses et, honnêtement, j’ai beaucoup de respect pour les deux. J’aime beaucoup Lana Del Rey, je trouve qu’elle dégage quelque chose d’unique. Mais, elles évoluent dans un registre assez différent et il m’est difficile d’apprécier, ou pas ces comparaisons. Je me souviens avoir également été comparée à Sade ou même Adele... peut-être cela vient-il du fait que ma voix est assez changeante et malléable selon les époques ou les titres.

Comment définiriez-vous votre propre musique qui est un habile mélange de nombreux courants ?

Hannah : Je dirais que c’est de la pop minimaliste.
Dan : C’est définitivement de la pop. Et c’est minimaliste (rires). Je ne suis pas sûr que ce soit très électronique parce que pas mal de titres de l’album n’emploient pas d’électronique au sens du courant musical. Ce n’est pas non plus nécessairement indie parce que tous les titres ne sont pas indie... Nous utilisons autant les synthés que l’acoustique. Comme tu le dis, je crois qu’on a réussi à mélanger beaucoup de genres au gré des titres. Et c’est sûrement ce qui attire l’intérêt et un certain public sur notre musique.

Vous piochez dans la pop, la soul, le hip-hop, l’électronica... Quelles ont été vos influences musicales ?

Hannah : Michael Jackson ! Et Fleetwood Mac.
Dan : Tu peux ajouter Radiohead, et tu obtiens un bon mix de pop, parfois facile et de groupes plus indie. Je ne crois pas que nous étions pas des amateurs de musiques difficiles. Nous sommes assez banals à ce niveau-là...

Hannah, tu écris les textes de vos chansons je crois, d’où te vient l’inspiration ?

Hannah : Je pense qu’il y a une base de vérité et d’histoires vécues qui, ensuite, sont brodées de fiction. Je ne sais pas exactement d’où cela me vient, mais ces paroles arrivent très rapidement dans ma tête, de manière assez instinctive je dirais. J’aime parler des gens et de la façon dont fonctionnent leurs cerveaux.

Votre dernier single en date se nomme Wasting My Young Years. Cela pourrait sembler autobiographique... Quelle est l’histoire de ce titre ?

Hannah : C’est un titre à propos de mon ex-petit ami. Je crois que j’ai écrit cela il y un an environ. C’est au sujet du temps que je pense avoir perdu avec lui... (rires). C’est assez courant chez les adolescents ou les jeunes adultes de faire ce constat quand on quitte quelqu’un ou quand quelqu’un nous quitte. Mais cela va également plus loin avec la peur que notre génération subit par les sombres perspectives d’avenir déversées par les médias et les politiques. La récession, le climat, les guerres... et, finalement, n’ai-je pas perdu mon temps et mon énergie avec cette relation alors qu’il y avait tant à faire pour améliorer notre futur ?
Dan : Attention, si tu prenais ce titre au pied de la lettre, on pourrait imaginer que c’est notre jeunesse que nous affirmons avoir gâchée... mais pas du tout !

Cette année, vous avez sorti plusieurs singles et votre album est en préparation pour la rentrée. Pensez-vous que les choses avancent vite, voire trop vite, pour London Grammar ?

Dan : C’est vrai que depuis quelques mois, comparé aux années passées, tout avance vite. Le prochain single, Strong, est déjà sorti en Angleterre et sera bientôt disponible sur les réseaux sociaux. En France, ils appuient souvent un seul single et attendent pour sortir le suivant. En Angleterre, les singles sortent de façon beaucoup plus rapprochée.
Hannah : Cela dépend vraiment des pays dans lesquels nous nous trouvons. En France, je n’ai pas l’impression que nous allions plus vite que la musique... alors qu’à Londres et en Angleterre, c’est vrai qu’en ce moment nous sommes assez en vue et peut-être même très exposés, médiatiquement parlant. Mais, étrangement, c’est en Australie que nous avons le plus de fans, d’expositions et de soutien ! Nous avons été incroyablement surpris d’entendre que nos titres passaient à la radio, quotidiennement, de voir notre nom dans de nombreux médias spécialisés ; et le plus surprenant, c’est que nous ne sommes même pas encore allés là-bas pour le moment !
Dan : Les titres sont apparus en ligne et les radios les ont immédiatement joués sur les ondes. L’EP est sorti là-bas il y à peine deux mois et nous sommes déjà numéro quatre dans leurs charts, c’est un sentiment très agréable. Cela laisse présager de bonnes choses pour l’avenir.

Récemment, vous vous êtes liés au label Because Music. Comment et pourquoi les avez-vous choisis ?

Hannah : C’est la suggestion de notre manager qui a une longue histoire de collaboration positive avec Emmanuel de Buretel, le créateur de Because Music. Nous l’avons alors rencontré et nous avons trouvé cette personne brillante et très ouverte à nos projets.
Dot : Nous sommes attachés à la puissance créative des labels indépendants, en Angleterre comme en France.

Que pouvez-vous me dire sur votre premier album, prévu pour sortir à la rentrée ?

Dot : Il est enfin achevé ! Il devrait sortir en septembre, en Angleterre comme en France, et devrait se nommer If You Wait.

Combien de temps avez-vous passé à écrire et enregistrer ce disque ?

Dan : Moi, cela m’a pris vingt ans (rires) !
Hannah : Sérieusement, à peu prés un an et demi. En fait, nous avons été signés il y a un an et demi.
Dan : Quelques titres sont plus vieux et viennent de nos premières années ensemble, mais, globalement, nous avons vraiment démarré l’écriture de l’album il y a un an et demi. Cela me semble si loin !

Vous avez joué à plein les réseaux sociaux et l’Internet puisque votre premier single, Hey Now? a été écouté plus de 370 000 fois sur SoundCloud ! Pensez-vous qu’il soit obligatoire pour tout nouveau groupe de maîtriser les réseaux et d’en jouer pour se faire connaître de nos jours ?

Hannah : Bien sûr, il devient difficile de ne pas se servir d’Internet et des réseaux sociaux de nos jours. Mais il faut prendre garde à certains aspects. D’un côté, nous disons toujours que sans Internet, nous n’aurions sûrement jamais eu ce succès lié au buzz crée sur la toile. Mais, d’un autre coté, à l’époque de mes parents, Internet n’existait pas encore ou alors pas de cette manière et les gens étaient ravis et impatients de l’attente que provoquait l’annonce d’une sortie de disque et ils se jetaient dessus dés qu’ils le pouvaient. Cela avait beaucoup de valeur que de pouvoir se payer ce disque et de le ramener, fièrement chez soi pour l’examiner sous toutes ses coutures !
Dan : Sans vouloir cracher dans la soupe, nous avons quelque peu perdu de cette romance qui entourait la sortie d’un disque et la découverte d’un groupe qui ne pouvait se faire que par le bouche-à-oreille ou par les articles des journalistes pour les plus connaisseurs.
Dot : Sans parler du contact avec tous ceux qui bossaient chez les disquaires et qui pouvaient vous parler des heures des nouveautés qu’ils avaient appréciées.
Dan : Heureusement, les artistes recommencent, j’ai l’impression, à vendre des disques malgré Internet et le téléchargement, qu’il soit légal ou pas. Prends l’exemple de Robin Thicke et son Blurred Lines qui a dû se vendre à plus d’un demi million d’exemplaires ! Evidemment, Internet et le téléchargement ont obligé l’industrie du disque à s’adapter et à revoir leurs modèles. Je pense qu’il ne faut pas trop être dans le pessimisme par rapport à ce nouveau média, mais qu’il faut, au contraire, le prendre à bras le corps pour le maîtriser. C’est ce que nous avons tenté de faire. Dans un sens, les majors ont sûrement fait une erreur en tentant de s’accrocher au CD et en culpabilisant Internet. Si elles avaient réfléchi au moyen de profiter d’Internet comme iTunes à su le faire, ils n’en seraient pas là aujourd’hui. Et pour certaines, il est presque trop tard car iTunes et d’autres se sont déjà accaparés la plus grosse part du gâteau !
Hannah : Ce qu’il faut voir également c’est que les nouveaux groupes ont beaucoup plus de pression sur leurs épaules parce que tout le monde panique à cause d’Internet et ils n’ont pas vraiment le droit à l’erreur quand ils démarrent. Est ce que cela pousse les majors à faire plus de musiques commerciales pour être certaines de vendre des disques ou du téléchargement ? Sûrement...

Pour l’instant, vous n’avez pas encore eu l’occasion de beaucoup jouer en Europe, y a-t-il des dates de prévues pour London Grammar en France et en Europe ?

Dan : Rien n’est encore confirmé, mais ce qui est sûr, c’est que nous allons déjà faire quelques festivals en Europe cet été et à la rentrée. Le Melt festival en Allemagne. Et en France, il y aura le festival des Inrocks à Paris si cela est confirmé... (ndlr : London Grammar joueront le 9 novembre prochain à la Cigale). Le reste, ce sera en dehors de l’Europe. Mais je pense qu’à partir de novembre prochain, nous serons beaucoup plus ici et particulièrement en Angleterre et en France. Et ensuite, nous irons enfin en Australie !
Dot : A partir de cet été et jusqu’à la fin de l’année, nous allons énormément tourner.

2013 sera donc l’année de London Grammar ?

Dan : J’aime bien l’idée en tout cas (rires). Cela dépendra aussi beaucoup de l’accueil réservé à l’album en septembre.