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Lost Under Heaven

Interview publiée par Pierre-Arnaud Jonard le 30 mai 2016

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Ellery James Roberts était le frontman enragé et talentueux de WU LYF, l’un des meilleurs combos à être sorti de Manchester ces dernières années. Avec un seul album, un look de scène et des vidéo clips qui ramenaient tout droit à l’imaginaire révolutionnaire des black-blocks, WU LYF avaient immédiatement fait sensation et engrangeaient des louanges méritées. Un seul album et tout partait en fumée. Aujourd’hui, il revient. Avec son nouveau projet, LUH., il est plus apaisé mais il n’en reste pas moins un rebelle comme la musique trop assoupie de notre 21ème siècle en a besoin. Après la sortie d'un premier album réussi et à la veille de leurs concerts parisiens et nîmois, il était impératif de rencontrer le duo qu’il forme avec Ebony Hoorn.

Ton groupe précédent, WU LYF, avait rencontré un énorme succès. Vous n'aviez sorti qu'un album mais il avait été désigné parmi les meilleurs de l'année par plusieurs magazines et soudain tu as tout arrêté. Est-ce par rapport à ton orientation anti-capitaliste et ton refus du succès qui te tendait les bras ?

Ellery : Ce que l'on a fait avec ce groupe au moment où on l'a fait était parfait, une vraie énergie, brute et rock'n'roll. Nous n'avons sorti qu'un album mais à la fin du groupe, les relations entre nous étaient devenus étranges, tendues. Cela peut paraître bizarre mais nous nous entendons mieux aujourd'hui qu'à l'époque qui a suivi la sortie de notre album. Après la fin du groupe, j'ai eu une période auto-destructrice. C'était un bon groupe de rock, un groupe sauvage, mais après ça tu as envie de grandir, de dépasser ce que tu voulais lorsque tu avais dix-sept ans. J'ai appris de ces expériences et m'en suis libéré. J'ai perdu à un moment donné l'esprit que j'avais au début de ce groupe et j'ai eu besoin de le retrouver.

On n'avait pas anticipé de monter un groupe ensemble.

Le nouveau projet est né lorsque vous vous êtes rencontrés, toi et Ebony ?

Ebony : Non. Nous nous sommes rencontrés fin 2012. Ellery est venu me voir à Amsterdam. Nous avons longtemps discuté avant de se lancer dans ce projet. Nous avons parlé de faire des choses ensemble mais pas forcément de la musique. Cela aurait pu être de l'architecture ou des projets artistiques sans qu'à ce moment nous choisissions une option ou une autre. Je ne viens pas du milieu de la musique mais de celui de l'art. J'ai fait une art-scool à Amsterdam.
Ellery : On n'avait pas anticipé de monter un groupe ensemble. Nous voulions travailler sur des choses où l'on pourrait exprimer nos émotions communes mais ce n'était pas obligatoirement musicalement.

Que signifie le nom du groupe, Lost Under Heaven ?

Ellery : Il exprime quelque chose que l'on pourrait qualifier comme une sorte de feeling universel. Il y a un côté futuriste dans ce nom comme ce que tu peux trouver chez William Blake, que nous apprécions plus que tout. En tant qu'Anglais, c'est l'une des personnes dont on peut être le plus fier. Sa vision nous inspire. Il est possible que le nom de Lost Under Heaven vienne en partie de lui.


Je trouve les paroles de vos morceaux oscillant entre dépression et des éléments au contraire très positifs...

Ellery : Oui, c'est vrai. Dans chaque chose existe cette balance entre positif et négatif.
Ebony : Il y a ce même équilibre dans une relation amoureuse. Il convient d'éliminer l'égo, de couper tout égoïsme. Nous voulons être dans quelque chose de profondément authentique.

Votre projet est très ambitieux et dépasse le cadre de la musique...

Ellery : Oui, à travers ce disque nous voulons ouvrir des portes, c'est sûr. C'est un challenge d'arriver à ça, de couper avec la routine, de pousser les possibilités le plus loin possible.

Faire une révolution juste avec la musique est quasiment mission impossible.

Vouloir changer les choses à travers la musique c'est quelque chose d'extrêmement difficile. Beaucoup de musiciens ou de morceaux, particulièrement dans les années 60, étaient révolutionnaires et au final personne n'a réussi à infléchir les choses, pas même quelqu'un comme John Lennon qui, au fait de sa célébrité, aurait pu peut-être y parvenir...

Ellery : C'est vrai. Faire une révolution juste avec la musique est quasiment mission impossible. Mais on ne se dit pas qu'on peut changer le monde. Changer de petites choses serait déjà énorme. Nous avons envie de communiquer avec le plus de monde possible et de créer une interactivité positive avec ce qui nous entoure.
Ebony : Nous vivons dans un monde où ce qui importe pour les gens, c'est la célébrité et juste ça. C'est dommage. Heureusement aujourd'hui grâce aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux tout le monde peut être en rapport avec tout le monde. Cela casse des barrières. Nous avons envie de cela, de casser le plus possible les barrières et de communiquer avec le plus de gens possibles. Notre projet est peut être plus utopique que révolutionnaire.

Vous devez vous sentir plus libres d'être à Amsterdam qu'à Manchester pour créer ?

Ellery : Oui, à Amsterdam, au contraire de Manchester, les gens ne parlent pas que de musique. Ils viennent de plein de milieux différents. Tu trouves des gens de toutes les cultures. Cela ouvre à d'autres univers et c'est enrichissant.

Je trouve le son de votre disque très original. Vous ne sonnez comme personne. On ne peut pas dire, par exemple, que tu viens de Manchester...

Ellery : A Manchester, tu trouveras toujours un public pour les groupes qui sonnent typiquement Manchester. Moi, à dix-huit ans, je voulais déjà bouger de cette ville, découvrir d'autres horizons. Ce disque est une mosaïque qui rassemble un tas de choses que nous écoutons. En tout cas, c'est sympa de ta part de nous dire que nous ne sonnons comme personne d'autre. Des groupes nous inspirent, Swans par exemple, même s'ils sont plus sombres que nous, ou Godspeed You! Black Emperor.


J'ai été très étonné que vous citiez le What's Going On de Marvin Gaye comme l'une des influences principales pour cet album. On est pourtant loin de sa musique, vous ne faites pas de la soul. Lorsque vous dites ça, vous parlez au niveau de l'esprit de sa musique ?

Ellery : C'est un disque puissant. Je ne veux pas créer dans un sentiment de sécurité. What's Going On a été créé dans cet esprit. C'est pour ça que nous le citons, au niveau de l'approche.

Je trouve que ce disque est une continuation de WU LYF mais aussi qu'il y a un côté plus mélancolique...

Ellery : Oui, c'est vrai. Nous avons voulu travailler sur un côté plus mélancolique mais aussi plus sombre par certains aspects que ce que je faisais avec WU LYF.

Vous avez été inspiré par l'architecte Richard Buckminster Fuller je crois...

Ebony : Il a été très important pour la création humaine. Il a utilisé une énergie positive qui va vers l'égalité pour tous. C'est ce que nous voulons créer dans notre musique et c'est pour ça qu'il est l'une de nos plus grandes sources d'inspiration. Créer pour être au service du plus grand nombre, existe-t-il quelque chose de plus beau ?