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Public Service Broadcasting

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 18 décembre 2017

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Archives. Tel est le nom de scène qu'aurait pu choisir J. Willgoose, lorsqu'en 2009 il fait ses débuts solo en public au pub Selkirk de Tooting à Londres. Cet ancien producteur de la BBC World Service était bien placé pour savoir à quel point le fond d'archives TV et cinéma produits depuis les années 30 était riches de sujets à exploiter et à quel point la nostalgie était un fonds de commerce intéressant. Il se défend pourtant de tout élan passéiste. Comme tout producteur, son seul but en tant qu'auteur compositeur aujourd'hui est d'informer... et de divertir. Et si cela peut être fait via la musique – à laquelle il est venu sur le tard et en autodidacte – pourquoi, dès lors continuer à être un anonyme du générique caché derrière la caméra et l'écran d'un groupe médiatique quand il peut être sur les devants de la scène et en haut de l'affiche d'un groupe audiovisuel ?

Avec Every Valley, et après la 2ème Guerre Mondiale, l'Everest ou la course à l'espace, Public Service Broadcasting s'est attaqué à un sujet plus social. Certains diront, plus « politique » : les mines de charbon au Pays de Galles et l'histoire de leurs ouvriers et des leurs syndicats qui ont vu prospérer, puis péricliter cette industrie qui appartient à un autre temps au cours des années 80/90.

Officiellement en trio depuis l'adoubement de JF Abraham comme bassiste et troisième larron, Public Service Broadcasting, au travers de son leader J. Willgoose, nous accueille dans les loges juste avant leur set au Badaboum à Paris par un glacial premier jour de décembre (pléonasme).

HOn connait ton passé de producteur TV pour la BBC World Service, mais comment en es-tu arrivé à jouer de la musique. Avais-tu des parents ou une famille de musiciens ?

J. Willgoose : Pas vraiment. Ma mère était une bonne chanteuse et jouait du piano quand elle était jeune, mais je n'ai pas grandi dans une famille de musiciens. J'ai appris la musique par moi même en étudiant les tablatures de Radiohead, Oasis ou Manic Street Preachers. Mais, même aujourd'hui, je suis quasi incapable de lire une partition et le solfège est encore un univers obscur pour moi...

Pour les plus anciens, certaines sonorités et riffs de guitares que Public Service Broadcasting utilise pourraient ramener à des groupes des sixties comme les Shadows. Quelles ont été tes influences musicales étant jeune ?

J. Willgoose : Je n'ai jamais vraiment pensé qu'on pouvait sonner comme les Shadows, mais j'aime beaucoup ce groupe et leur jeu de guitares. A la maison, mon père écoutait beaucoup les Beatles et ma mère était une fan d'Eurythmics. C'est vrai que j'ai pas mal été entouré de musique pop des années 80 et j'avoue avoir été et être toujours fan de Nick Kershaw ! Ceci dit, c'est sûrement Oasis qui a été le groupe le plus influent pour moi au milieu des années 90.

Comment qualifierais tu la musique de Public Service Broadcasting ? Parce que j'ai beau eu me creuser les méninges, je n'ai pas trouvé !

J. Willgoose : Je n'ai pas encore trouvé moi non plus (rires). C'est difficile car nous utilisons un tas d'influences et styles différents qui, au final donnent un grand melting-pot de tout ce qui s'est fait depuis plusieurs décennies. Généralement, je dis aux gens que c'est un style « bizarre » (rires). Un style bizarre qui inclue des lignes mélodiques et un rythme imposants.

Every Valley est le troisième album de Public Service Broadcasting, sorti en juillet dernier. Sur cet album, un grand nombre d'artistes vous a rejoints en studio. Comment s'est passée la rencontre avec James Dean Bradfield de Manic Street Preachers, Lisa Jen Brown (une chanteuse folklorique galloise) ou Tracyanne Campbell de Camera Obscura ?

J. Willgoose : Nous voulions vraiment travailler avec eux et nous sommes allés à leur rencontre pour leur proposer notre nouveau projet. L'idée était de proposer à chacun un titre en adéquation avec leurs personnalités artistiques différentes. Cela a été plus long avec Tracyanne Campbell car, si j'avais la mélodie et le texte en tête, je n'arrivais à me décider sur qui pourrait chanter le titre en question (Progress). J'avais d'abord pensé à Elizabeth Fraser des Cocteau Twins, mais on ne l'a pas entendu chanter depuis quelques temps maintenant. Je me suis donc mis à rechercher quelqu'un qui maitriserait la puissance de voix d'Elizabeth Fraser tout en possédant la fragilité de son timbre. Et Tracyanne Campbell m'a paru être la bonne personne. Le thème d'Every Valley est un peu plus complexe et délicat que ceux des albums précédents et il nous fallait trouver un expression plus « humaniste » dans l'interprétation de ses titres.

Après des années passées sur scène avec vous, JF Abraham est maintenant le troisième membre officiel du groupe. Qu'est-ce que cela a modifié dans votre manière d'écrire ou d'enregistrer ?

J. Willgoose : Étant donné qu'un nouveau membre prend part à l'écriture et aux idées sonores, cela change obligatoirement quelque chose. Je pars souvent de brouillons que je soumets à mes collègues. Et, souvent, je connais à l'avance les réponses ou les doutes qui émaneront de mes deux comparses, mais avoir un avis supplémentaire est un plus pour le groupe. Pour les arrangements de cordes ou de cuivres, par exemple, les compétences de JF Abraham ont été d'une grande richesse pour cet album.

Où avez vous enregistré Every Valley et qui l'a produit ?

J. Willgoose : Je l'ai produit moi même, comme les précédents. L'enregistrement s'est déroulé dans une petite ville du Pays de Galles dans laquelle nous avons aménagé un local syndical en studio en déplaçant un tas de matériel d'un studio local. Le lieu était très grand, mais cela nous a paru honnête et sincère de mettre « les mains dans le cambouis » en organisant l'enregistrement d'un tel album non pas dans un studio luxueux, mais en accord avec le sujet et en prenant le temps d'être avec les habitants et les ouvriers de cette ville, autrefois minière.

Il y avait là une façon de dénoncer les certitudes de nos sociétés.

Sur l'album, il y a un titre qui se nomme People Will Always Need Coal. Un titre plutôt provocateur à l'heure où le monde entier se démène pour mettre fin aux énergies fossiles et pour contrer le changement climatique...

J. Willgoose : Ceci est évidemment un titre très ironique. J'espère que les gens le comprendront... Il y avait là une façon de dénoncer les certitudes de nos sociétés. En 1975, si une chanson s'était nommée People Will Always Need Coal, tout le monde aurait surement applaudi et acquiescé. Quarante ans plus tard, c'est devenu une aberration. C'est aussi une manière de dénoncer comment, il y a quarante ans on a incité les gens à venir travailler dans l'industrie du charbon alors qu'on savait, sans aucun doute, que cette industrie ne pourrait pas perdurer – le choc pétrolier avait déjà eu lieu. Je pense que les politiques de l'époque ont menti et à peine quelques dizaines d'années plus tard, les mêmes employeurs ont commencé à mettre ces gens dehors et à fermer les mines.

Vous allez d'ailleurs jouer dimanche prochain (9 décembre) en Pologne pour le National Miner's Day...

J. Willgoose : C'est un sacré honneur pour nous que d'aller jouer à cette occasion. Il y a toujours eu des liens très forts entre mineurs de tous les pays et ceux de Pologne ont montré beaucoup de solidarité envers les mineurs anglais durant les grèves des années 80.

Comment a germé l'idée du Pays de Galles et le sujet des mineurs, notamment de charbon ?

J. Willgoose : Comme tu le sais, les albums précédents étaient plus des hommages à la société technologique et aux accomplissements de l'homme via le progrès ou la technologie. Et si il n'est pas exclu que nous revenions sur ces bases dans le futur, nous voulions prendre un plus gros risque pour ce troisième album et sortir de la technologie pour parler des hommes, de manière plus terre à terre. Bien sur, il y a toujours une notion de « progrès » dans Every Valley, mais l'album parle surtout des hommes qui ont été laissés pour compte dans cette industrie et ces régions en particulier. Comme toujours, je me suis d'abord assuré que les archives vidéo d'Angleterre possédaient assez de matériel pour que nous puissions illustrer en images ces propos. Au fil de cette recherche, préambule à l'album, je me suis aperçu que le fonds d'archives était très important et le sujet au Pays de Galles s'est naturellement imposé à moi. Contrairement à la conquête spatiale qui laisse apparaître des hommes qui semblent être des super héros aux yeux du plus grand nombre, les mineurs ne sont pas vus de la sorte et l'angle humain de l'album est devenu un axe très important à nos yeux. Risqué, mais important.

La course à l'espace, vue coté URSS ; les mineurs de fonds, notamment en Pologne ; les syndicats gallois... n'as-tu pas peur qu'on vous catalogue dans les groupes de rock communistes ?

J. Willgoose : (rires) C'est vrai que mon père qui a jeté une oreille aux premiers titres d'Every Valley a eu peur, lui aussi, qu'on nous voit aujourd'hui comme un groupe trop politisé et d'une tendance plus gauchiste qu'autre chose. Mais, je ne pense pas que nous devions nous en inquiéter, si tant est que cela soit vrai. Seules les prises de position contestables sont à craindre...

En parlant de prises de position. Le changement climatique, certains extrémistes arrivés au pouvoir, le Brexit... es-tu confiant pour l'avenir ?

J. Willgoose : Comme on dit, les choses deviendront pires avant qu'elles ne s'arrangent. En ce qui concerne le Brexit, Boris Johnson comme les autres ont menti au peuple anglais. Et leurs promesses d'un avenir meilleur sans l'Europe ne verront pas le jour, si elles voient le jour avant vingt ou trente ans, au mieux. Je pense que les anglais voient, aujourd'hui, à quel point les temps vont être durs ces prochaines année si on poursuit dans la voie du Brexit. Pour Donald Trump, je suis assez confiant sur le fait que d'ici l'année prochaine, les américains le mettront dehors la Maison Blanche. Un tel crétin, dangereux et incompétent ne peut pas rester Président des États-Unis. Mais il a tellement divisé son pays qu'il est difficile de faire des pronostics. Cependant, comment ne pas rester positif ; sous peine d'abandonner tout de suite et d'aller se pendre !

Tu as dit qu'écrire The Race For Space t'avait paru être un « pique-nique » comparé à Every Valley. Combien de temps t'a pris l'écriture d'Every Valley ?

J. Willgoose : Cet album a été écrit sur plus d'une année entre nos différents concerts car, comme tu le sais, nous avons eu la chance de pas mal tourner ces derniers temps. Sans oublier ma femme, le chien ou ma maison qui ont également besoin de mon attention (rires). Le plus long et le plus difficile a été de réunir tous ces musiciens qui ont participé à l'album. Les archives vidéo ainsi que l'obtention de leurs droits de diffusion. Être sûr de produire des titres qui auraient la qualité que le sujet demandait... C'est certainement l'expérience la plus inconfortable à laquelle Public Service Broadcasting s'est trouvé confronté. Mais, sans difficultés, pas de motivation ou de qualité.

En parlant de difficulté, c'est la première fois que l'on t'entend chanter sur un de vos titres...

J. Willgoose : Ne m'en parle pas... Ce n'était pas prévu comme ça. Quelqu'un d'autre devait chanter ce titre (ndlr : You + Me), mais nous a lâché en cours de route. Heureusement, Lisa Jen Brown me seconde dans cette tache sur le titre. Je ne referai pas l'erreur de me transformer en chanteur à l'avenir (rires).

Comment se passent tes premières expériences en tant que chanteur sur scène ?

J. Willgoose : J'ai chanté ce titre quatre fois en live jusque là. Et, je m'aperçois que ce n'est vraiment pas mon truc ! Mais, j'aime cette chanson.

Ces derniers temps, vous avez étoffé votre line-up pour certaines dates, accompagnés par des cuivres et des cordes avec jusqu'à huit musiciens supplémentaires...

J. Willgoose : C'est quelque chose que nous aimerions faire plus souvent, mais c'est très compliqué à mettre en place et toutes les scènes ne peuvent le supporter. Qui sait, peut-être que sur nos prochains albums, nous ne serons plus un trio mais un quintet ou un sextet !

Je ne suis pas certain d'avoir envie de vivre à une autre époque que la mienne.

Toi qui t'es fait le gardien des archives passées, si tu pouvais remonter le temps, à quelle époque aurais-tu aimé vivre ?

J. Willgoose : Je ne suis pas certain d'avoir envie de vivre à une autre époque que la mienne. Beaucoup de gens nous pensent nostalgiques à cause de nos archives vidéo et de nos thèmes traités, mais l'idée que nous portons se situe plus dans la transposition de ces faits et imagées passés dans une époque moderne que dans une réelle nostalgie de ces époques. Ceci étant dit, toutes les époques passées seraient intéressantes à revivre pour connaître la condition de vie des gens. Quand Londres des siècles passés était entouré de champs, par exemple. Même si je ne suis pas certain que de vivre dans les odeurs, le manque d'hygiène, les maladies et autres difficultés de ce passé soient supportables pour une personne de mon époque.

En tournée, y a-t-il un objet ou un porte-bonheur que tu n'oublies jamais d'apporter avec toi ?

J. Willgoose : Mon ordinateur portable (rires) ! Sérieusement, je ne suis pas porté sur les superstitions. Encore que, chez moi dans le jardin trône un vieil arbre qui doit avoir plus de 400 ans que je caresse et à qui je parle à chaque fois que je quitte mon domicile pour partir en tournée. On peut le considérer lui aussi comme une archive qui a du être témoin de pas mal de choses dans les époques passées. Ceci expliquant peut être cela...