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Gaz Coombes

Interview publiée par Yann Guillo le 8 février 2023

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Début 2023 marque nos retrouvailles avec l'inusable Gaz Coombes. Ambitieux, mélodique, généreux et regorgeant de textures et détails sonores, Turn The Car Around, son dernier album, figure parmi les plus belles réussites de sa carrière. Nous avons eu le plaisir de le retrouver (en visio) confortablement installé dans son studio d'Oxford pour échanger sur la genèse de ces fabuleux neuf titres. Rencontre.

Bonjour Gaz ! (ndlr : il est assis à un bureau, des guitares au mur et une table de mixage devant lui) Tu es dans ton studio ?

Oui, je suis à la maison, dans mon studio d'Oxford ! C'est ici désormais que j'entrepose tout mon matériel. J'y ai enregistré la quasi totalité de l'album. Une fois que j'avais enregistré des tonnes d'idées ici, j'ai retrouvé Ian Davenport (ndlr : qui coproduit les disques solo de Gaz Coombes depuis Matador) dans son propre studio pour tout réécouter, filtrer et supprimer tout ce qui n'avait pas de sens.

Tu travailles Ian Davenport depuis de nombreuses années. Quel est son apport et pourquoi avoir choisi de travailler à nouveau avec lui pour cet album ?

Oui, je le connais depuis des années et nous avons travaillé ensemble sur pas mal de projets, notamment pour Supergrass à l'occasion. Notre collaboration s'est faite très naturellement car nous sommes tous les deux des locaux d'Oxford. Quand j'ai débuté Matador, j'avais plein d'idées en tête et je ne voulais pas d'un producteur au sens traditionnel du terme, comme j'avais pu en connaître auparavant. Ma relation de travail avec Ian fonctionne un peu différemment, même s'il est un excellent producteur en soit par ailleurs. J'ai confiance en lui, en ses goûts. Il a une oreille fantastique et je me fie à ses opinions instinctives sur les idées que je lui propose.

Comment as-tu commencé à travailler sur Turn The Car Around ? Avais-tu une collection de chansons sous la main ? Ou y a-t-il eu un élément déclencheur particulier ?

En réalité c'est comme un cycle naturel, une sorte d'horloge interne de la créativité qui me dit « c'est l'heure de passer au prochain ! ». Tout s'était tellement bien passé avec mon dernier album, World's Strongest Man, que je voulais très vite attaquer le suivant. J'avais notamment deux chansons, Dance On et Sonny The Strong, qui dataient des sessions de World's Strongest Man et que j'aimais vraiment beaucoup. Je savais qu'elles seraient sur le nouvel album et ce sont elles qui ont démarré le processus. Puis j'ai construit ce studio pendant l'été 2020. Le premier morceau que j'ai enregistré ici était Don't Say It's Over. Ce titre a ouvert un nouvel espace de créativité pour moi.

Pourquoi avoir construit ton propre studio ? C'est arrivé en 2020, est-ce un choix lié à la pandémie du COVID-19 ?

Avoir mon propre studio, c'était un projet auquel je pensais depuis longtemps. J'adore le home studio et j'ai eu pendant des années mon studio dans notre salon. C'était cool, j'adorais ça ! Mais il y avait des instruments partout, des amplis dans tous les couloirs. Les enfants se prenaient les pieds dans les câbles qui trainaient... Même si c'était génial, je crois que ma famille était assez heureuse que je trouve un nouvel espace hors de chez moi (rires) ! Il se trouve que mon voisin travaille dans le bâtiment et, pendant l'été 2020, lui comme moi nous sommes trouvés sans travail. Je lui ai dit « tu ne voudrais pas passer et regarder l'espace que je viens de trouver ? ». Ca s'est fait comme ça, c'était incroyable ! Nous avons tout construit en dix semaines à peine. Puis j'ai directement commencé à enregistrer. Au cours de ces deux très années très étranges, c'était vraiment génial de pouvoir trouver un élan créatif au milieu de ce chaos. J'ai eu beaucoup de chance, le timing était parfait !

Tu as une carrière incroyable, hyper créative, où tu as réussi à te renouveler. Quelle est ta plus grande fierté sur cet album ? Es-tu allé dans une direction qui t'a surpris toi-même ?

En fait, je fonctionne en suivant mon instinct musical. Je fais la musique que j'ai envie d'écouter, la musique qui m'excite. Quand j'enregistre un truc, je réécoute et j'ai un buzz qui me dit : « Ouais, ça c'est le bon riff » ou « ça c'est le beat qu'il faut ». Ces émotions sont addictives ! En même temps cet album est un disque très personnel. Il a été un peu comme mon meilleur ami pendant ces deux années très étranges. J''en suis devenu très proche mais je n'avais aucune idée de la réception positive qu'il allait recevoir, de cette connexion qui allait s'établir avec le public. C'est beau de voir tous ces commentaires sur les différents morceaux ou les petits détails dans les chansons. Le disque vit sa propre vie, il respire. Je pense que c'est ce dont je suis le plus fier. Je veux dire, je m'éclate à faire de la musique, c'est tout ce que j'aime. La création n'est pas un processus douloureux pour moi. Mais quand tu arrives à transmettre ça, que la connexion s'opère, c'est une chose merveilleuse, parce que tu ne peux jamais savoir ce que les gens vont ressentir. Ils ne vont peut être pas vouloir faire partie de ce monde, de ses pensées de cette agitation.

Avec près de trente ans de carrière, qu'est-ce que tu sais maintenant que tu aurais aimé savoir plus tôt ?

Ca, c'est une question difficile, parce que d'une certaine façon, tout arrive pour une raison. Même ma naïveté ou mon manque d'esprit de décision à certains moments de ma carrière... Cela fait partie de ce qui a été, c'est le charme du processus : ne jamais savoir ce que tu vas faire exactement, ne pas avoir 100% de confiance. Peut-être que si je le pouvais, je me dirais simplement « pousse un peu plus, crois plus en toi, essaie de ne pas trop te remettre en question ». Je pense que je réfléchissais beaucoup trop quand j'avais vingt ans. Mais, en même temps, je n'ai pas vraiment de regrets car j'ai beaucoup appris. Aujourd'hui, d'un point de vue créatif et musical, j'ai la capacité de traduire et d'articuler quoi que ce soit que j'ai dans la tête. C'est sans doute grâce à une meilleure connaissance du studio, de compétences dans l'enregistrement et la production. J'adore créer des sons.

Est-ce que l'évolution dans ta façon d'écrire ces dernières années vient du fait d'avoir davantage de contrôle sur le son, d'être dans l'expérimentation sonore plutôt que dans la pure performance rock comme dans les 90s ?

Oui, je pense que c'est une énorme différence dans ce que j'essaie de faire. J'ai désormais une approche stylistique différente. J'ai quelques éléments sonores très personnels, comme le son de batterie ou des guitares fucked up qui sont même parfois pas très bien enregistrées. Et ce n'est pas très 90s en effet ! Tout était enregistré très proprement et de façon assez clinquante à l'époque. Je pense que dès que j'ai commencé à faire mes propres enregistrements, j'ai réalisé qu'il y avait tout un monde de sons qui s'ouvrait à moi et que j'étais vraiment passionné par cette dimension. Tu peux avoir des enregistrements un peu sales, avec un gain sur la console super poussé, des craquements de bande hyper présents par exemple, mais ça sonne de façon magnifique.

On entend vraiment cette évolution dans tes disques, avec tout ce travail sur des textures, des détails sonores...

J'adore expérimenter mais j'essaie toujours aussi de garder un cadre, ne pas être trop indulgent avec moi-même. C'est aussi ce qui est intéressant dans le processus de création d'un album : j'expérimente tous azimuts, mais à un moment, il faut retirer des éléments pour retrouver la partie clé du morceau sans trop se perdre dans les éléments atmosphériques, d'ambiance. Pour moi c'est une vraie discipline car j'adore ajouter des couches ! Mais c'est un point sur lequel je suis devenu meilleur ces dernières années.

Tes chansons sont pleines de détails et d'arrangements. Est-ce que cet album est particulièrement difficile à jouer sur scène ?

Je me suis demandé comment j'allais faire pour le retranscrire, oui. Plus que pour mes trois précédents albums en effet. Je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup de claviers, de synthétiseurs pour produire tous ces sons étranges. Et puis on s'est retrouvé avec mes musiciens, qui m'accompagnent depuis plus de sept ans maintenant. Ce sont des musiciens brillants et nous nous connaissons très bien, nous sommes devenus des amis proches. On a passé du temps à répéter les chansons et on a pris une approche légèrement différente. On s'est concentrés sur les parties les plus importantes, pas forcément tous ces sons et ces détails qui sont moins importants pour la scène.

Qu'est ce qui te donne encore l'envie de continuer après toutes ces années ? Des nouveaux sons que tu écoutes ? Ou est-ce plus un voyage intérieur ?

C'est un peu des deux. Etrangement, je n'ai pas écouté beaucoup de nouveautés musicales ces dernières années. Je me concentre juste sur ce que je fais, sur ma propre évolution, mon propre voyage dans la musique. Et puis je tire de l'inspiration des gens autour de moi, des personnes brillantes qui m'entourent, ma famille. Et puis, tu sais, la vie te fait traverser différents moments et expériences. Et la façon la plus simple de les gérer pour moi, c'est à travers la musique et les paroles. C'est ma façon personnelle je crois d'appréhender la vie.