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Slowdive

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 4 mai 2017

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Suite à un incroyable retour sur scène en 2014, Slowdive reviennent cette année avec leur premier disque depuis ving-deux ans. Une semaine après un magnifique concert donné au Trabendo à Paris, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Neil Halstead, tête pensante du groupe. Celui-ci est a évoqué pour nous la reformation du groupe, leur nouvel album mais aussi Bob Dylan et la valse de Vienne !

Qui a eu l'idée de reformer Slowdive ?

Je pense que c'est un peu de ma faute si le groupe s'est reformé. Je devais donner un concert il y a quelques années de cela, et j'ai demandé à Rachel et Simon de me rejoindre pour l'occasion. Nous devions jouer des reprises de Slowdive. Le promoteur de ce concert, qui est un de mes amis, est aussi un grand fan de shoegaze. Il savait que le reste du groupe serait présent car il m'a suggéré de les inviter pour un concert en acoustique de nos chansons. Ce à quoi j'ai répondu que nous ne donnerions pas un concert des chansons de Slowdive sous cette forme. Il m'a donc suggéré de les jouer en électrique (rires). A l'issue de ce concert, nous avons pas mal discuté tous ensemble sur la possibilité de réaliser un nouvel album. Ca nous paraissait impossible au début et pourtant... Nous avons eu cette offre de concert par le Primavera Sound Festival et puis nous avons continué à jouer dans pas mal d'autres festivals en 2014. C'est bien à partir de là que notre retour est devenu officiel.

L'album Black Hearted Brother, ainsi que le 45 tours de reprises de Slowdive que tu as sortis tous les deux sur Sonic Cathedral en 2013 ne t'ont-ils pas influencé en quelque sorte pour reformer le groupe ?

Je pense que Black Hearted Brother a été pour moi un excellent moyen de retravailler avec des guitares noisy, de jouer autre chose que de la folk. Ça m'a beaucoup plu et quelque chose a changé dans mon esprit après tout ça, c'est vrai. Comme si quelque chose qui m'avait manqué était finalement revenu. Mon esprit était donc ouvert à ce type de suggestions. Je ressentais cette vibration de rejouer de la musique noisy.

Dans les premiers moments où vous avez commencé à rejouer ensemble, à répéter, ne craignais-tu pas que ça ne puisse plus fonctionner comme avant entre vous ?

Nous étions assez nerveux avant les premières répétitions. La première chanson que nous ayons jouée fut Slowdive; le premier morceau qui figure sur notre premier EP. Lorsque nous avons terminé de la jouer, nous avons réalisé qu'il y avait toujours ce truc spécial et que cela fonctionnait entre nous. Cette version nous a vraiment emballés. Nous avions littéralement la banane. Aussi la suite s'est déroulée plus facilement. En 2014, nous avons donné des concerts pendant une grande partie de l'année, et franchement ce fut génial pour nous tous. Nous avons pris beaucoup de plaisir à nous reconnecter tous ensemble.

Est-ce que vous avez rapidement envisagé une reformation sur le long terme ?

Dans nos esprits, il était évident que nous désirions faire un nouvel album. Enchaîner les concerts nous a permis d'avancer progressivement vers cette étape. Nous avons réalisé qu'il y avait davantage d'intérêt dans Slowdive que nous aurions pu l'imaginer. Nous avons donc continué les concerts avant de finalement prendre la direction des studios. De toute façon nous n'étions pas intéressés par une reformation de six mois simplement pour donner une série de concerts pour jouer des vielles chansons. Il était important, pour ne pas dire primordial, que ce retour soit créatif.

Pour ce disque, nous avons travaillé de la même manière que pour Souvlaki.

Est-ce que vous travaillez ensemble comme par le passé ?

C'est assez similaire. Pour ce disque, nous avons travaillé de la même manière que pour Souvlaki, qui fut un disque long à achever. Nous nous rendions en studio le week-end ou les jours fériés. Je suis reparti ensuite dans mon studio avec ce que nous avions enregistré sur mon ordinateur et à partir duquel j'ai travaillé. Deux mois plus tard, nous avons joué une autre session. Il a donc fallu un an et demi pour que le disque puisse commencer à prendre forme. Ce qui est un peu long. Nous avons utilisé un processus organique pour concevoir l'album. Le fait que nous ne sachions pas vraiment à l'avance quel type de disque nous allions sortir a nécessité pas mal de temps. Nous avons été surpris par la tournure pop que prenait l'album. Pop par rapport à l'univers du groupe, bien entendu. J'ai pensé au début que le disque serait davantage dans l'esprit de Pygmalion, avec ce côté plus abstrait, ces vibrations électroniques. Mais finalement non. La manière de travailler ensemble n'a donc pas vraiment changé. Cela marche toujours très bien entre nous en tant que groupe. Nous avons toujours des idées similaires sur ce qui fonctionne ou non. Nous avons conservé la même sensibilité. La seule véritable différence avec auparavant ce fut vis-à-vis de Simon. Il a passé ces dernières années à composer des musiques expérimentales ou ambiantes pour des films. Il a apporté énormément de texture au son de l'album à l'aide de logiciels que je ne maîtrise absolument pas. Il s'est énormément impliqué dans ce nouvel album. Sur Falling Ashes, j'étais en train de m'entrainer au piano. Il était assis à côté de moi, concentré sur le son émanant de l'instrument. Il a ensuite retravaillé ces sonorités et elles ont constitué le fond du morceau. Pour nous ce fut une toute nouvelle approche musicale. Nous avons d'ailleurs déjà considéré la possibilité de réaliser un nouvel album très rapidement.

L'album débute avec Slomo. Est-ce que ce fut une chanson difficile à terminer ? Ta manière de chanter dessus est assez inhabituelle...

Oui, c'est très aigu pour moi. Initialement, je pensais que ce serait Rachel qui la chanterait. J'ai commencé à poser ma voix dessus, et je pensais qu'elle prendrait le relais, mais ce ne fut pas le cas. Je suis davantage familier avec ce timbre de voix sur mes disques solo, mais pas avec Slowdive. Notre agent aux États-Unis nous a envoyé un e-mail pour signaler combien il aimait la voix de Rachel sur cette chanson. Il ne s'est toujours pas rendu compte que c'est moi qui chante (rires). Et je ne lui ai rien dit à ce propos (rires). C'est une chanson qui est passée par de nombreuses étapes et qui a connu bon nombre de mutations. C'est une de mes préférées de ce disque. Elle possède ce côté très familier à Slowdive et en même temps elle est très différente des autres chansons du disque.

La démo est différente de la version finale ?

L'idée initiale est en effet très différente. Le morceau a été retravaillé et édité par ordinateur. La chanson est devenue autre chose. C'est vraiment étonnant ce qu'on peut faire de nos jours avec un ordinateur portable. Certaines parties ont été littéralement inversées, d'autres changées. Le refrain est devenu un couplet. Le couplet est devenu un verset intermédiaire. On peut vraiment parler de déconstruction voire de transformation entre ce qu'elle était et ce qu'elle est devenue. D'autres morceaux ont subi le même traitement et sont en définitive méconnaissables par rapport aux premières idées. Nous avions travaillé d'une manière assez similaire pour Pygmalion.

Quel fut le premier morceau que vous avez composé pour l'album ?

Tous les morceaux sont venus d'idées. Celles-ci n'avaient pas une véritable forme. Nous avons donc travaillé sur pas mal de choses au même moment. Les morceaux ont commencé à prendre forme en juillet 2016, alors que nous avions enregistré tous ces bouts de chansons, ces idées, fin 2015. A ce moment-là nous sommes allés au studio Courtyard où nous avons enregistrés tous les albums de Slowdive. Notre ami Chris Hufford, qui était notre ingénieur du son à la base et nous a aidés à produire chacun de nos albums, était là une fois encore. Dès lors les chansons ont trouvé leur identité, le moyen de se structurer. Star Roving est probablement la première chanson à avoir abouti. C'est en tout cas celle-ci qui a connu en premier une potentielle version finale. Soniquement parlant ce morceau n'était pas facile à mixer. C'est pourquoi nous voulions que ce soit celui-ci qui soit d'abord terminé. Cela nous a permis d'envisager la suite plus sereinement. Nous sommes en contact avec Chris Coady, notamment pour ses travaux avec Beach House dont nous sommes très fans. Nous aimons le son qu'ils ont sur leurs disques. Chris fut le choix parfait pour le mixage de notre album.

Après toutes ces années d'absence, était-ce une évidence pour vous ce choix de Star Roving comme premier extrait de l'album ?

Ce fut un choix un peu rusé, en effet, mais nous l'avons voulu à cause de son côté dramatique. Et puis cette chanson a un côté Slowdive, un côté psychédélique également. Nous voulions qu'il y ait un impact sur nos fans, tout en conservant ce côté familier. C'est toujours difficile d'effectuer des choix pour annoncer un nouveau disque, surtout après plus de vingt ans d'absence. Les morceaux sont assez distincts sur l'album. Star Roving nous a semblée la mieux placée pour en être le premier extrait.

Le disque sonne très Slowdive, mais en même temps, il y a quelque chose de vraiment différent de ce qui vous caractérise. Si on écoute attentivement le disque, on se rend compte du changement dans le son, dans la structure des chansons. Tu es d'accord ?

Je l'espère bien ! C'était important pour nous de faire un disque qui semble familier, qui rappelle Slowdive. Ça aurait été ridicule de se reformer et de faire un disque qui n'a rien à voir avec ce que l'on était initialement. Mais en même temps, nous tenions à être différents du passé. Je pense qu'il y a suffisamment de choses sur le disque qui montrent que nous nous éloignons du Slowdive des années 90.

Nous avons toujours aimé la musique pop, mais nous aimons également ce qu'on peut appeler les ambiances sonores et les instrumentaux.

La fin du disque est très différente du reste de l'album. Est-ce qu'elle est davantage connectée à Pygmalion ?

Il n'y avait rien de calculé mais il est vrai que Go Get It a en effet plus à voir avec Pygmalion qu'avec Souvlaki. Falling Ashes également. Il y a toujours deux côtés chez Slowdive. Déjà sur le premier EP c'était ainsi. Nous avons toujours aimé la musique pop, mais nous aimons également ce qu'on peut appeler les ambiances sonores et les instrumentaux. Nous avons toujours essayé de les réunir. Nous aurions pu faire un album qui prenait la suite de Pygmalion, mais nous nous sommes dit que nous n'avions pas le droit de le faire. Avoir réalisé ce disque nous a ouvert de nouvelles voies et cela nous a beaucoup plu. Le fait d'avoir composé sur la fin du disque des morceaux moins pop pourrait nous amener à envisager un prochain disque davantage dans cette mouvance.

Falling Ashes est une magnifique manière de conclure l'album. Pourrais-tu nous en dire davantage sur elle ?

Ça a commencé avec des boucles de piano, un peu à la Steve Reich. Le piano sonnait live. La chanson possède d'ailleurs une chanson au milieu de celle-ci. L'idée originale du morceau était très rythmique, très hypnotique, avec une collection de boucles. Il y a de réelles oppositions dans la chanson. C'est pour cela qu'elle possède une ambiance très abstraite. Elle est vraiment très différente du reste du disque. Elle possède cette vibration qui me plait beaucoup. Simon fut vraiment très impliqué dans son écriture. C'est un morceau que je qualifierai de très humain.

Quel effet ça fait de finalement jouer de nouvelles chansons sur scène ?

Nous avons donné sept concerts ces dernières semaines. Ce fut un peu stressant d'interpréter ces chansons. Mais ce fut également super pour nous. Je pense que dans les semaines qui viennent, notre audience, notamment via Internet, va se familiariser avec ces chansons. Une des trois chansons que nous avons jouées n'a même pas encore été dévoilée (ndlr : No Longer Making Time) mais elle est en train de devenir mon morceau préféré du concert. Nous sommes impatients que l'album sorte. Nous donnerons une tournée aux États-Unis où il nous sera possible de jouer bon nombre de nouvelles chansons sur scène.

Avez-vous envisagé de jouer Falling Ashes sur scène ?

Nous en avons discuté. Nous nous demandons encore comment nous pourrons l'interpréter. Cela nous obligera à emmener un clavier supplémentaire pour la tournée. Je ne suis pas certain de pouvoir jouer les notes au piano de ce morceau sur scène car il est un peu difficile. Mais peut-être que Rachel sera capable de le faire. Ce sera un nouveau challenge pour nous, tout comme le fut de jouer des morceaux de Pygmalion en live. Nous n'avions pas joué ces chansons sur scène à l'époque. Lors de la reformation, il a fallu nous y mettre sans expérience passée. Nous avons dû apporter de la vie à ces chansons, car nous ne voulions pas qu'elles sonnent exactement comme sur le disque. Un peu comme Bob Dylan sur scène où il est impossible de reconnaître ses chansons par rapport aux versions studio (rires). Mais c'est vraiment quelque chose que je respecte. Il donne une nouvelle vie à ses chansons à chaque tournée, ce qui peut être très frustrant pour ses fans.

L'intro de votre concert, c'est Deep Blue Day de Brian Eno. C'est un morceau qui compte pour vous ?

Oui, ça l'est. Cela colle bien à notre univers. Nous ne sommes pas simplement un groupe de rock. C'est d'ailleurs l'intro mais aussi le morceau de sortie de notre concert. J'ai toujours adoré l'ambiant pour ses atmosphère, ses textures musicales. Et puis je trouve ce disque de Brian Eno magnifique. Je trouve ça super d'arriver et de quitter la scène sur cette musique. A Vienne en 2015, nous n'avions pas avec nous ce morceau. Un membre du personnel de la salle me dit : « Ne t'inquiète pas, j'ai le morceau parfait pour vous ! ». Nous sommes arrivés sur scène sur une valse (rires). Ce fut juste ridicule. Nous faisons bien attention depuis à toujours avoir ce morceau avec nous pour les tournées (rires).

Pour terminer, comment avez-vous été signé par Dead Oceans ?

Nous avons réalisé et mixé l'album nous-mêmes. Nous nous sommes demandé quel label allait le sortir. Nous sommes tous très fans de Secretly Canadian dans le groupe. J'ai rencontré une personne du label il y a quelques années de cela alors que je donnais un concert solo chez un disquaire New-Yorkais. Il connaissait bien ce que j'avais fait musicalement. Nous l'avons contacté ainsi que d'autres personnes à ce propos. Mais c'était vraiment une évidence de travailler avec lui et nous en sommes ravis. Ce fut un peu comme pour les albums de Mojave 3 et ceux que j'ai sorti en solo chez 4AD. Ce sont des gens passionnés par la musique et qui nous correspondent. La connexion avec de telles personnes est vraiment très importante pour nous.